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L’opération Sangaris, les méfaits de l’incohérence décisionnelle

Quels que soient les théâtres géostratégiques considérés, les situations chaotiques semblent se multiplier ainsi que les désillusions et les effets indésirables qui l’emportent sur les résultats clairs et positifs. Si de nombreuses causes peuvent expliquer ces déboires à répétition, l’impréparation et les erreurs d’appréciation semblent les plus fréquentes.

Nous allons illustrer cela par l’analyse des prémices et des résultats de l’opération Sangaris que la France a conduit sous l’égide de l’Onu de décembre 2013 à octobre 2016. La nature même de l’intervention, ses limites et ses résultats sont très intéressants à analyser pour évaluer les modalités de la prise de décision dans l’incertain.

Je propose ici de le faire à l’aide de deux outils développés sur ce blog : la théorie des jeux et les ordres imaginaires.

Nous allons examiner la pertinence des choix retenus au regard de l’ensemble des stratégies possibles.


Rationalité, théorie des jeux et ordre imaginaire

Un décideur doit procéder à l’analyse du contexte la plus complète possible et disposer de méthodes permettant de comprendre la portée et la pertinence de ses décisions au regard des possibilités offertes aux autres acteurs.

La prise de décision doit également intégrer la nature du risque auquel le décideur est confronté. J’ai analysé dans l’affaire du Soukoï 24[1] le cas de situations complexes à forte incertitude où les stratégies des acteurs et l’espace des probabilités associées ne sont pas triviaux. Toutefois dans ce cas, les acteurs impliqués étaient peu nombreux (les gouvernements russe et turc) et la compréhension des ressorts psychologiques de l’adversaire globalement partagée.

L’opération Sangaris s’est déroulée dans un cadre très différent. L’armée française a dû faire face à des intervenants faiblement organisés et peu soumis aux contraintes qui limitent ou régulent l’action de gouvernements ou de groupes recherchant une reconnaissance internationale.

Cette atonie organique des groupes en présence ne conduit pas à leur innocuité ou à la faiblesse de leurs actions. Au contraire, elle renforce leur imprévisibilité et généralement leur violence voir leur sauvagerie.

Nous allons analyser les actions possibles de l’ensemble des protagonistes à l’aide de la théorie des jeux et des ordres imaginaires.

La théorie des jeux repose sur la définition et la qualification d’un ensemble de stratégies réalisables au regard des possibilités d’actions ou de réactions des parties adverses. Une probabilité de réalisation est associée à chacune de ces possibilités.

Chaque joueur est censé être rationnel : les comportements adoptés suivent une logique interne qui vise à optimiser ses résultats et satisfaire ses attentes. Cette logique interne est largement conditionnée par l’ensemble des représentations collectives (spirituelle, culturelle, sociale, réglementaire etc.) qui déterminent, parfois inconsciemment, les choix retenus. Un ensemble cohérent de représentations collectives, partagées par une communauté sur une période donnée, est appelé un ordre imaginaire[2].

La mauvaise compréhension de l’ordre imaginaire des parties adverses ou l’anticipation d’actions par projection de nos propres représentations collectives sur des acteurs psychologiquement très différents conduit généralement à des erreurs qui peuvent s’avérer tactiquement désastreuses. Leur non prise en compte dans les modèles de théorie des jeux conduit également à des résultats aberrants ou contre intuitifs[3].

Le contexte de l’opération Sangaris

LA RCA : un vaste pays peu peuplé, culturellement très divers


La République Centrafricaine (RCA) couvre une superficie de 622 000 km2 et présente de grandes différences géographiques entre un nord sahélien, des savanes centrales, une forêt méridionale et des régions bordières du fleuve Oubangui.

Trois grands groupes cohabitent dans ce vaste espace, suivant les zones climatiques du pays : les populations dites "du fleuve" au Sud et au Sud-Est, celles de la forêt au Sud-Ouest, puis le plus gros du peuplement dit "de la savane" au Centre, à l'Ouest, au Nord, au Nord-Est et à l'Est. La diversité géographique a engendré des différences culturelles légèrement homogénéisées par l’utilisation commune de la langue sango, même si très nombreux dialectes coexistent sur le territoire.

La population est numériquement très restreinte (4 ou 5 millions d’habitants environ) tout en étant en forte croissance, comme pour l’ensemble de la zone subsaharienne.

Le taux d’urbanisation est moyen (environ 62 %) en croissance tendancielle. Toutefois, la savane et la forêt constituent des refuges réguliers pour les populations soumises aux pressions des groupes armées.

De nombreuses ethnies, animistes ou chrétiennes, se partagent ces territoires (Banda, Gbaya, Manja, Ngbaka, etc.). A celles-ci se sont ajoutées plus tardivement, des populations islamisées comme les Haoussa, les Mbororo, et les Peulh.

Près de 80% de la population est chrétienne. 10% des habitants sont de religion islamique, concentrés dans les régions du nord depuis toujours reliées à l’espace saharo-sahélien. Le reste de la population reste fidèle aux religions africaines traditionnelles (animisme, génies, ancêtres, divinités)[4].

Un pays politiquement instable avec un état évanescent

Le pays vit depuis son indépendance dans un environnement politique et social instable avec des crises politico-militaires, larvées ou intenses, quasi permanentes.

Avant la colonisation, la vie politique fonctionnait autour des clans. Cette représentation culturelle a perduré malgré l’adoption des principes politiques importés d’Europe. Le pays compte à ce jour un très grand nombre de partis essentiellement assis sur une base ethnique et recourant massivement à la fraude électorale. Les représentants élus ne sont d’abord que des porte-paroles de leur communauté de rattachement. La communauté nationale et le contrat social, bases des démocraties européennes, demeurent des objets de communication très peu incarnés dans la réalité quotidienne.

En conséquence, le recours à la violence physique demeure pour beaucoup la voie la plus pertinente pour assurer la prise en compte de leur intérêt (clanique, ethnique ou religieux) et l’amélioration de leur condition. La RCA a connu un nombre très élevé de coups d’Etat et d’insurrections.

L’instabilité politique et militaire a engendré la faiblesse endémique des institutions qui sape la légitimité et l’autorité de l’Etat et renforce de ce fait la prolifération des groupes armés, organisés sur une base ethnique ou religieuse. Ceux-ci servent tout autant à exercer une rapine constante sur une partie de la population (précieux moyen pour assurer un revenu économique) qu’une pression continue sur le pouvoir central. Si cette violence endémique est une constante depuis la décolonisation, les affrontements ont connu un changement de nature à partir des années 90. Dés lors, les affrontements inter-ethniques - ne visant plus essentiellement la quête du pouvoir mais davantage la destruction de l’autre - deviennent une constante, avec pour paroxysme l’extermination en 2001des Yakoma, suite au coup d’État raté du général Kolingba[5]. La Centrafrique illustre parfaitement l’évolution des pays très instables où les structures décisionnelles totalement inadaptées au contexte social et culturel deviennent, malgré elles, des relais de l’affrontement entre groupes humains. L'environnement géopolitique de la Centrafrique renforce cette instabilité interne. La RCA est géographiquement à la confluence des crises ou troubles sévissant au Soudan, au Congo et au Tchad. Elle subit également la pression islamique qui s’exerce sur l’ensemble de l’arc sahélien.


Un pays potentiellement très riche et structurellement très pauvre

Les ressources minières de la RCA sont très importantes et variées (or, uranium, pétrole, etc.) Elles sont largement mal exploitées, souvent gaspillées et détournées au profit de la coalition au pouvoir ou d’entreprises étrangères, notamment françaises. La France a en effet, après l’indépendance, continuellement assuré la domination des entreprises françaises sur le secteur primaire, par le biais de concessions exclusives et de soutiens répétés aux autorités en place. L’instabilité et l’incurie politique ont conduit au sous-développement des infrastructures : sur environ 25 000 kilomètres de pistes, seuls 500 sont bitumés. La RCA ne dispose que d’un seul aéroport international.

La faiblesse de l’Etat, le pillage des ressources, l’incurie des gouvernants ont conduit au non-paiement régulier des salaires, affaiblissant encore davantage l’Etat et plongeant la majeure partie de la population dans une misère chronique.


L’opération Sangaris

La présence française en RCA et dans sa périphérie est historiquement importante, notamment au Tchad. Toutefois, le sens de cette présence a évolué, passant d’une défense des Etats ou des régimes (opération Epervier notamment) à la lutte contre l’intégrisme islamique (opération Serval puis Barkhane). Face à la situation en RCA les autorités françaises avaient finalement trois choix possibles : conserver la vieille tradition de la Françafrique (appuyer les régimes amis), combattre une insurrection à connotation islamique ou opérer un maintien de l’ordre international. Nous verrons les implications de ces choix possibles au regard des décisions prises et des moyens déployés.


L’acuité de la crise : l’émergence de la Séléka et des anti-balaka

La Séléka («alliance», en sango) est un groupe armé rebelle, apparu en août 2012, opposé au président François Bozizé. Il est constitué essentiellement de représentants des ethnies islamisées du Nord, renforcées par des mercenaires tchadiens, libyens et soudanais. Ses effectifs sont évalués à plusieurs dizaines de milliers de combattants. La Séléka a conquis en quelques semaines la moitié de la Centrafrique avant de s’emparer de la capitale Bangui et du pouvoir, illustrant ainsi la faiblesse organique de l’armée. Cette courte campagne s’est faite au prix d’importantes exactions commises contre la population chrétienne ou animiste (plus d’un dixième de celle-ci est désormais déplacé dans des camps ou en fuite dans la savane ou la forêt). En réaction, des villageois ont créé des groupes anti-balaka (anti machettes) essentiellement d’obédience chrétienne ou renforcé ceux existants. Ces groupes sont également responsables de massacres et d’épurations ethniques.

Le 24 mars 2013, le leadeur de la Séléka, Michel Djotodia, se proclame président de la République. Il est toutefois incapable de rétablir l’ordre et le pays s’enfonce dans la guerre civile, opposant les communautés ethniques et religieuses entre elles. La crise est d’autant plus aigüe que chaque composante armée (Séléka et anti-balaka) est en fait constituée de groupes hétéroclites. Ceux-ci sont peu enclins à penser et conduire une stratégie commune et encore moins à obéir à des ordres, même provenant de leur chef historique.

Par ailleurs, le pays est un véritable chaos d’interventions extérieures concomitantes, des combattants tchadiens, soudanais, sud-africains, européens, etc. intervenant avec plus ou moins l’aval de la communauté internationale ou des autorités nationales.[6]

L’opération Sangaris et la MISCA

Face au risque de génocide, la France annonce, le 26 novembre 2013, l'envoi d'un millier de soldats pour rétablir la sécurité dans le pays. C’est le début de l’opération Sangaris, inscrite dans le cadre de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA), mise en place le 5 décembre 2013, par la résolution 2127 du conseil de sécurité des Nations unies.

Pour engager le processus de pacification, le 10 janvier 2014, Michel Djotodia et son premier ministre Nicolas Tiangaye annoncent leur démission. Catherine Samba-Panza est nommé dans la foulée chef de l'État transitoire de la République centrafricaine.


L’opération Sangaris débute donc après la prise de Bangui et les premiers massacres, avec l’objectif affirmé de protéger les populations du risque de génocide et de préparer la transition démocratique.

Le risque de génocide est la conséquence directe de la guerre civile qui oppose les communautés entre elles et plus exactement les troupes anti-balaka à la Séléka.

L’état-major français prévoyait une intervention légère, très différente de celle du Mali. Le gouvernement français escomptait une durée d’intervention limitée à quatre ou six mois maximum, avec un contingent minimal. 400 premiers soldats sont rapidement envoyés en RCA, vite rejoints par 1.200 autres. Compte tenu des rotations, c’est finalement près de 15000 hommes qui furent engagés en RCA.


Nous allons analyser le choix effectué par les autorités françaises au regard de l’ensemble des stratégies possibles et de leurs conséquences prévisibles.


Les stratégies possibles des acteurs

Stratégies possibles de la Séléka et des Anti-Balaka

La Séléka et les anti-balaka sont constitués de fait d’un ensemble mouvant et finalement peu organisé de bandes militarisées se réclamant d’une même finalité générale. Chacun d’entre-eux poursuit généralement trois objectifs concomitants.

  1. assurer la défense des ethnies ou des croyants dont ils sont l’émanation

  2. maintenir leur capacité de rapine des moyens économiques du pays,

  3. entretenir un chaos suffisant permettant de justifier leur existence

Face à la présence de troupes étrangères et compte tenu de leurs modalités d’interventions possibles, deux stratégies sont envisageables pour ces groupes :

  1. accepter le désarmement et transformer la lutte militaire en combat politique (sur le modèle par exemple des FARC en Colombie).

  2. continuer leur action violente en profitant des grandes zones refuges offertes par la géographie du pays.


Nous sommes ici clairement dans un contexte du dilemme du prisonnier[7], toutes ses conditions de réalisation étant réunies.

  1. Les deux groupes acteurs ne communiquent pas entre eux ou pas sincèrement

  2. La perte potentielle subie par celui qui désarmerait unilatéralement serait très élevée, supérieure à la perte attendue d’une poursuite des combats inter-ethniques

  3. Le gain potentiel de ne pas désarmer est perçu comme supérieur à celui de déposer collectivement les armes.

En conséquence, la France pouvait parfaitement anticiper qu’un désarmement global et spontané des groupes était illusoire, à moins d’être obtenu sous un contrainte dure, conduisant chacun à anticiper une perte radicale en cas de non-respect de ce désarmement.

Ceci était d’autant plus prévisible que le jeu démocratique, profondément ancré dans notre ordre imaginaire, n’est dans leurs représentations collectives, qu’une continuation des règles de régulation tribales.

Nous allons par la suite considérer que les deux groupes armés vont tout faire pour le demeurer et maintenir leur capacité d’action et de nuisance.


Stratégies possibles des forces françaises

Une Opération Extérieure (OPEX), quelle qu’elle soit, relève de deux types possibles : celui d’une guerre conduite contre un ennemi désigné ou celui d’un maintien de l’ordre plus ou moins coordonné avec les autorités locales ou les autres acteurs internationaux.

Le premier type implique que les forces armées françaises appuient une autorité légitime et combattent un ennemi clairement identifié.

Le second type peut relever de deux ensembles de situations : celle d’un pays au gouvernement évanescent qu’il convient de remplacer dans ses fonctions régaliennes ou celle d’un Etat qui demande l’aide internationale pour désarmer des parties adverses.


Les forces à mobiliser ainsi que les conditions idéales de leur intervention sont différentes selon les cas de figure.

  1. Le premier type nécessite essentiellement le déploiement de troupes militaires. La tactique de base consiste dans un premier temps, en s’appuyant sur les forces armées nationales ou les groupes alliés, à détruire les voies de ravitaillement en hommes et en matériels ainsi que leurs infrastructures. Ceci afin, dans un second temps, de réduire les poches de résistances ou les zones de refuges possibles. Il s’agit de « sidérer » l’ennemi par une capacité d’intervention et un déploiement de forces supérieur en qualité (pas nécessairement en nombre). L’intervention Serval au Mali entre typiquement dans ce cadre. Ce premier type d’actions conduit également à des alliances éventuelles avec des groupes armés opposés à l’ennemi désigné.


  1. Le second type implique de disposer de personnels d’administration, de contingents de police combinés à des troupes militaires. Les forces armées sont là pour assurer le désarmement, consenti ou non, des groupes armés présents sur le territoire. Toutes les bandes militarisées sont alors traitées de la même façon. Les administrateurs doivent assurer, en appui ou non du gouvernement, la définition et la publication de règles transitoires de gouvernance dont le respect sera garanti par les forces de police. Ces missions de police et de restauration d’une autorité indépendante nécessitent une présence humaine importante et diversifiée pour s’imposer à tous en tous lieux.


Une OPEX peut bien évidemment combiner ces deux types mais toujours en accordant la priorité des moyens déployés à l’un d’entre eux.


Dans le contexte particulier d’une intervention en RCA, les stratégies possibles de la France peuvent donc être résumées comme suit :

  1. Légitimer le pouvoir de François Bozizé, en désignant la Séléka comme ennemi à combattre et réduire son influence dès son émergence (avant la prise de Bangui).

  2. Légitimer le pouvoir de Michel Djotodia, en appuyant sa tentative de désarmement de la Séléka et des anti-balaka.

  3. Conduire une opération de pacification, réduisant le niveau de violence et préparant un retour du processus démocratique.


La première stratégie aurait conduit la France à engager une action militaire du premier type, fin 2012-début 2013, en désignant la Séléka comme ennemie. Dans ce cas, les forces françaises auraient dû sécuriser au plus tôt les frontières nord de la RCA pour couper les voies d’accès des mercenaires étrangers et l’alimentation en armes des troupes ennemies. De même, l’armée aurait dû prendre le contrôle des dépôts militaires pour maîtriser la circulation des armes. Cette intervention rapide aurait permis de limiter l’importance des exactions commises. L’armée pouvant ensuite, le cas échéant, appuyer les forces de police nationale pour assurer le désarmement des autres groupes armés (anti-balaka notamment). Cette stratégie essentiellement militaire se serait donc accompagnée d’un déploiement, dans un deuxième temps, de forces de maintien de l’ordre pour protéger les populations civiles, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse.


Dans la seconde stratégie, la France aurait dû engager ses moyens au printemps 2013, après les premiers massacres d’importance. Cet engagement aurait eu pour objectif d’assurer le désarmement de la Séléka et des groupes anti-balaka. Les deux groupes étant désignés de facto comme ennemis si ceux-ci n’acceptaient pas le désarmement.

Ce choix aurait donc entraîné des actions à la fois militaires et de maintien de l’ordre. Il aurait donc été également nécessaire de réduire les voies de ravitaillement en hommes et en armes de ces groupes en reprenant le contrôle des frontières et des dépôts de munitions.


Dans sa déclaration de presse[8] le gouvernement a clairement choisi la troisième option. Celle-ci constate l’impuissance du gouvernement en place à assurer la sécurité et aurait donc dû entraîner le déploiement de moyens d’administration du territoire à même d’encadrer l’action des forces de maintien de l’ordre, qu’elles soient internationales ou centrafricaines.


En cohérence ou non avec ses choix stratégiques, la France pouvait décider de déployer :

  1. Essentiellement des forces militaires visant à l’éradication des menaces identifiées (comme au Mali)

  2. Des troupes chargées du maintien de l’ordre et dont les capacités d’actions offensives sont réduites par les ordres reçus et le matériel mis à disposition

  3. Un ensemble combiné d’administrateurs, de troupes militaires chargées de l’élimination des menaces et du désarmement des groupes armés et des forces de maintien de l’ordre


Très clairement, la France a choisi la deuxième option.

Le tableau des stratégies

Les stratégies de la France peuvent être résumées dans le tableau suivant :

L’opération militaire seule ou accompagnée d’un appui en maintien de l’ordre est clairement une stratégie dominante et cohérente, lorsque l’ennemi est identifié et doit être combattu afin de soutenir un régime en place. C’est le choix de la France au Mali.

Déléguer à des forces militaires relativement peu nombreuses, une politique de maintien de l’ordre, en délimitant leur capacités d’actions ne pouvait en aucun cas être une stratégie optimale. Comme nous l’avons vu précédemment, la Séléka et les anti-Balaka ne pouvaient choisir unilatéralement de désarmer sous la seule pression de la présence française. C’est malheureusement nos troupes qui furent sidérées par la violence endémique exacerbées par des années de corruption et de destruction du lien national. Dans les conditions préexistantes en RCA, il eut été optimal d’opter, comme la communauté internationale l’a fait en Bosnie-Herzégovine, pour une administration transitoire, couplée à une intervention militaire forte adossée à une action de police. Les moyens à mettre en œuvre, qualitativement et quantitativement sont évidemment sans proportion avec la poignée d’hommes que la France a jetée dans le chaudron centrafricain.

Dans les faits, les forces françaises, mandatées de facto comme force de maintien de l’ordre, ont dû combattre la Séléka et les anti-balaka, mais sans stratégie réelle d’éradication de ces groupes et de leur moyens de ravitaillement, sans la légitimité pour le faire et sans les moyens qu’une intervention militaire planifiée réclament.


Les effets de l’opération Sangaris

L’intervention des forces françaises a permis de réduire dans un premier temps l’intensité des actions génocidaires en cours. C’est un point positif qu’il convient d’apporter au crédit de cette opération. Elle témoigne de l’importance d’une force armée disciplinée et de très bon niveau pour réduire des violences endémiques.

Toutefois, cet effet régulateur a été de courte durée. En octobre 2016, le pays connait à nouveau un regain de violence, qui n’a jamais de fait cessée[9].

De plus, le départ des troupes françaises est perçu par chaque partie, comme un signal de recrudescence potentielle des actions de l’adversaire. Ce qui promet de nouvelles exactions, dans un pays où la majorité des groupes militarisés n’a pas désarmée.

L’objectif assigné n’a donc pas été atteint. La transition du pouvoir est certes techniquement en route, mais avec une légitimité très restreinte. Elle l’est d’autant plus que l’intervention n’a pas permis d’endiguer les mouvements d’épuration de populations selon des critères religieux, mouvements qui augurent très mal de l’avenir. Malgré son retrait officiel, la France continuera d’être présente pour soutenir les efforts d’interposition des forces de la Minusca qui a succédé à la Misca.

L’inadéquation de la stratégie retenue et des moyens alloués a eu également des effets désastreux sur les troupes françaises.

Certes, nous partons avec très peu de pertes (3 militaires tués), mais le stress post traumatique des soldats est très élevé[10], très nettement supérieur à celui des opérations en Afghanistan.

Par ailleurs, les accusations de viols touchant certains militaires ont terni, peut-être pour longtemps, l’image des Opex conduites par l’armée française.



L’analyse de cette opération illustre les erreurs stratégiques qui peuvent être commises sur la base d’une mauvaise considération du contexte et de la dynamique des acteurs. Les effets de cette impréparation décisionnelle, à la fois pour la Centrafrique et pour la France, pourraient être à long terme plus néfastes que ne le laissent transparaître les satisfactions convenues de nos dirigeants.

Notes et références

[1] CF. L’affaire du soukhoi 24

[3] https://rationalitelimitee.wordpress.com/2011/02/20/paradoxes-de-la-rationalite-raisonnements-pratiques-et-theorie-des-jeux/

[4] http://www.sangonet.com/afriqg/PAFF/Dic/1Csituation.html#populationC

[5] http://www.diploweb.com/Republique-centrafricaine.html

[6] https://afriquedecryptages.wordpress.com/2016/05/19/centrafrique-pourquoi-faut-il-encore-parler-de-la-seleka/

[8] http://www.defense.gouv.fr/operations/centrafrique/dossier-de-presentation-de-l-operation-sangaris/operation-sangaris

[10] http://www.20minutes.fr/societe/1951975-20161030-fin-operation-sangaris-prise-parole-soldats-traumatises-moins-taboue


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