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L’étrange élection présidentielle 2017

Les incroyables rebondissements des affaires qui touchent François Fillon et sa famille illustrent à la fois l’impact des Cygnes Noirs dans des processus qui paraissaient jusqu’alors très stables et l’état de décomposition de la relation qui lie le peuple à ses représentants et à l’élite auto proclamée.

Mais le Pénélope Gate n’est pas le seul événement précédemment imprévu. A l’image du succès surprenant et foudroyant de François Fillon lors de la primaire de la droite, la victoire sans équivoque de Benoit Hamon est également un événement majeur qui redistribue fortement les cartes électorales.

Les deux succès ont d’ailleurs des points communs. Ils offrent aux électeurs de chaque camp un marqueur identifiant fort en opposition à la figure incarnant la ligne principale du parti qui organise la primaire (Sarkozy pour LR et Valls pour le parti socialiste). La puissance de ce marqueur et le rejet de la ligne majoritaire avaient été totalement sous-estimés par les sondages. C’est le deuxième point commun.


Les variations d’opinions que nous connaissons, qui s’effectuent sur un temps très court, sont uniques dans l’histoire électorale.

Même si un des principes fort d’un Cygne Noir est l’imprévisibilité de sa survenue et de ses effets, nous allons ici essayer d’analyser les conséquences des derniers événements et tenter de dégager des pistes pour comprendre ce qui pourrait se produire dans cette année très riche en événements électoraux.

La tragédie des primaires : l’évanescence des partis politiques

Voilà des décennies que les partis politiques ne sont plus les lieux de production de la réflexion politique (au mieux confiée à des officines associées) mais un lieu de compétition personnelle pour le pouvoir.

Cet assèchement du rôle des partis contribue au renforcement de la défiance grandissante des électeurs envers les hommes politiques.

Pour remédier à cela, les hommes politiques ont misé sur le principe des primaires, organisées à l’image de l’élection présidentielle qui demeure la seule faisant l’objet d’une véritable adhésion populaire.


La succession des primaires ouvertes, dans cette atmosphère de défiance majeure des citoyens envers les politiques et les médias « main Stream », a créé une situation inédite dans notre vie politique dont les effets de déflagration n’ont pas fini de se faire sentir, au-delà même des partis concernés par ces primaires.


La sélection de fait du dirigeant d’un parti par une primaire ouverte au-delà des militants et même des sympathisants, ne peut que fortement affaiblir le parti lui-même par le relâchement du lien qui le lie à ses adhérents. En effet, la sélection des représentants constitue, avec le vote des motions, un des attributs principaux du rôle de l’adhérent.

Les primaires changent complètement le mode de sélection des leadeurs jusqu’alors profondément verrouillé et contrôlé par les instances dirigeantes de chaque parti.

Les primaires sont enfin une tribune conduisant à l’exposition d’un programme marqueur de l’identité de chaque candidat, indépendant et potentiellement différent de celui du parti. Ce programme est destiné à une frange particulière et restreinte de l’électorat et non pas au peuple dans son ensemble. Néanmoins, malgré cette restriction constitutive, il n’en constitue pas moins le socle sur lequel le programme du candidat se construit, ce qui n’est pas sans poser de réels problèmes par la suite, comme François Fillon a pu le constater dès le lendemain de sa victoire. Fait aggravant des primaires 2017, la perspective anticipée d’avoir à affronter Marine Le Pen au deuxième tour et non un candidat modéré de l’autre grand parti, a facilité l’émergence de propositions plus radicales. Les candidats au profil plus recentré (Juppé et Valls) ont été largement battus.



La tragédie des primaires : des conséquences politiques mal évaluées

Les conséquences emportées par ce cycle de primaires ouvertes n’ont pas été anticipées ni véritablement comprises par les partis. Elles discréditent encore plus chacun d'entres-eux, devenus juste des machines électorales au service d’un vainqueur désigné par d’autres.

De plus, le casting des personnalités conduit à accroître artificiellement les différences de fonds entre les candidats et de ce fait facilite la mise en lumière des défauts ou déviances de chacun par rapport à une moralité revendiquée par les autres.

Le programme marqueur agit de même en dramatisant les propositions des autres candidats jugés de ce fait au mieux irresponsables au pire vendus à d’obscures officines anti France.

L’incroyable déchaînement contre Alain Juppé ou Benoît Hamon, par exemple, illustre parfaitement ce point.

Ce spectacle et la posture qu’il engendre ne peuvent qu’accroître la défiance générale de la population face aux hommes politiques en général.

Par ailleurs, la confrontation de programmes parfois très différents (notamment au parti socialiste), les attaques personnelles et la dramatisation des enjeux réduisent fortement la discipline interne qui était jusqu’alors garante de la cohésion du parti.

Fêlures dans l’élite : la mise à mal des hommes politiques

L’opposition entre le peuple et l’élite est devenue un élément de discours incontournable. Si la définition de ces deux entités est très fluctuante selon l’esprit et l’humeur de chacun, il n’en ressort pas moins que les hommes politiques, les journalistes les plus en vues et les hommes d’affaires les plus importants sont systématiquement positionnés dans le camp des possédants. La solidarité au sein de l’élite était renforcée par le sentiment commun d’appartenir à une engeance particulière de la société, plus éclairée, plus au fait des choses essentielles et plus à même de conduire le destin des hommes et des femmes. Les déboires collectifs et l’immense accroissement des inégalités engendrées par les politiques mises en œuvre depuis 40 ans ont profondément accru la distance entre le peuple et l’élite. Cette distance est d’autant plus forte que les privilèges des membres des castes privilégiées deviennent moins faciles à cacher du fait notamment des réseaux sociaux et d’Internet. La méfiance accrue envers l’élite en général a conduit chacune de ses composantes à tenter de minimiser son image négative en jetant l’opprobre sur une autre composante. Dans ce jeu à somme négative, le maillon le plus faible devient la cible privilégiée des autres. Les hommes politiques sont incontestablement ce maillon faible. De ce fait, malgré une emprise sans précédent de l’oligarchie sur les médias, leurs turpitudes notamment financières sont exposées dans les journaux, ce qui accroit encore leurs faiblesses intrinsèques. Pour survivre ou surnager, il devient alors essentiel de se positionner comme un homme politique à part, soit détaché des partis et porte-voix d’un mouvement de citoyens (Mélenchon et Macron), soit porteurs d’une légitimité en rupture avec les pratiques immorales des autres (Fillon avant l’affaire Pénélope).

Le changement de paradigme politique : la fin du clivage traditionnel Gauche – Droite

En tant que machines électorales, les partis politiques ne peuvent fonctionner que sur un régime binaire, opposant un camp à un autre.

Ce clivage simple fonctionnait parfaitement du temps où les Gauches et les Droites, chacune hétérogène, possédaient plus de points en commun entre elles qu’avec les adversaires du camp opposé. Il fonctionnait parfaitement bien lorsque chaque camp, malgré sa variabilité interne, portait des visions inconciliables de la société.

Le ralliement massif de l’ensemble des partis de gouvernement au capitalisme actionnarial a mis à mort ce clivage.

Un autre clivage émerge désormais depuis une décennie qui traverse presque tous les partis politiques, rendant ainsi inéluctable l’explosion des coquilles vides d’idées qu’ils sont devenus.

C’est celui qui oppose le souhait de protection (sociale et/ou culturelle) à l’ouverture (économique et/ou culturelle).


Si on représente sur un graphique le positionnement relatif des cinq principaux candidats à la présidence de la république, il est tout à fait remarquable de constater que les quatre prétendants désormais les mieux classés dans les sondages sont les plus représentatifs des 4 segments issus du croisement des deux dimensions qui organisent désormais le clivage politique. Leurs positionnements sont nettement plus marqués que ne l’étaient ceux des deux finalistes de 2012, Hollande et Sarkozy.

Toutefois la présentation sous forme de graphique est trompeuse, elle laisse penser que chaque segment porte le même poids électoral et que les proximités entre segments sont identiques. Il n’en n’est rien.


Segment 1 : Protection économique et ouverture sociétale et culturelle. Ce segment-là était jusqu’alors très peu porté par les partis politiques de gouvernement à l’exception du Parti Communiste. Ce positionnement électoral conduisait donc à la marginalité ou à la nécessité de s’allier avec d’autres partis situés dans d’autres segments. La percée électorale de Mélenchon et maintenant d’Hamon confirme que le besoin de protection sociale, corollaire de la violence économique et sociale portée par le libéralisme actionnarial, s’est fortement accru en dix ans. Ce segment-là est donc électoralement en forte croissance, même si celle-ci est freinée par la dimension d’ouverture sociétale qui est désormais très associée à l’élite. Electoralement, il peut empiéter sur les parties les plus centrales des segments 3 et 4.


Segment 2 : Protection économique, sociétale et culturelle. Le Front National occupe cet espace politique depuis l’élection de Marine Le Pen à la tête du parti et la montée en puissance de Philippot dans la production de son programme. La croissance de son potentiel électoral tient tout autant au besoin de protection économique que culturelle. Ce segment-là pèse désormais lourd sur l’échiquier politique, entre 25 % et 30 %. Toutefois, il est le plus isolé des segments, peu compatible avec les autres. Les électeurs attirés des autres segments sont assez faibles, sauf en cas d’une opposition face à un représentant marqué du segment 3.


Segment 3 : Ouverture économique et ouverture sociétale et culturelle. Ce segment est celui occupé depuis des années par la classe politique et porté par les médias. Ce segment est fortement décrié de nos jours car pleinement associé aux élites. Il représente toutefois une part consistante de l’électorat, sans doute autour de 30 %. Electoralement, il peut empiéter sur les parties les plus centrales des segments 1 et 4. Macron occupe ce créneau, bien qu’il évite au maximum de détailler son programme. .


Segment 4 : Ouverture économique, protection sociétale et culturelle. La question identitaire a été un des thèmes dominants de l’actualité politique des dernières années. En conséquence, l’attrait de ce segment s’est renforcé dans la classe politique de droite comme de gauche. Ce segment est d’autant plus attractif qu’il permet d’amoindrir l’image négative des politiques libérales par la mise en avant des questions sécuritaires ou identitaires. Cela a été clairement la stratégie de François Fillon. Un empiétement sur une partie des électeurs de tous les autres segments est possible.



Les tendances lourdes dégagées ci-avant permettent d’analyser les forces et faiblesses des 5 principaux candidats.

Le paradoxe des mauvaises campagnes : Les cas Macron et Le Pen

Marine Le Pen fait incontestablement une des pires campagnes du Front National, après celle conduite par son père en 2007. La parole de Marine Le Pen est inaudible depuis des mois. Elle est également en proie à des tensions internes sans précédent depuis la scission mégrétiste et soumise au feu de la pression judiciaire pour des affaires qui détruisent sa posture de politique au-dessus de la mêlée. La palinodie familiale sans fin avec le père fondateur grève le temps de campagne et les possibilités financières de la conduire.

Mais le pire ne se trouve pas là. Fidèle à son axe de dédiabolisation, Marine Le Pen a choisi un slogan complètement antinomique, d’une part avec le ressenti collectif et d’autre part avec l’ADN profond du mouvement. La France apaisée est en effet très loin de la France réelle de 2017, taraudée par l’inquiétude voire la révolte, et de l’identité du FN qui n’est pas porteur d’apaisement. Ce slogan est dans la même veine que celui de Juppé avec l’identité heureuse.


Tous ces points négatifs, qui s’ajoutent aux caractéristiques de son positionnement politique sur le segment le plus fermé, auraient dû conduire à une baisse significative de son score électoral comme cela fut le cas en 2007, surtout si une stratégie d’empiétement était mise en œuvre. Ce fut clairement la tactique de Sarkozy avec un excellent résultat et il est évident que François Fillon espérait le même succès, notamment sur les électeurs FN de la tendance Marion Maréchal Le Pen, nettement plus proche du segment 4 que celle incarnée par Florian Philippot.

Les très rapides déboires de la candidature de Fillon, d’abord par la mise en avant de l’incroyable brutalité sociale de son programme puis par le Pénélope Gate, a fermé pour l’instant la porte à cette stratégie. Au contraire, par un effet repoussoir, des électeurs attirés par Fillon migrent désormais vers le Front National, notamment ceux qui font de la sécurité identitaire la première des priorités.

De plus, le socle du segment 2 est nettement plus consolidé qu’il ne l’était il y a dix ans. Marine Le Pen dispose donc d’une base solide, malgré la médiocrité de sa campagne. Il faudrait un scandale de la nature de celui qui coule François Fillon pour porter une atteinte sévère à ce socle.


Emmanuel Macron de son côté fait une campagne minimale, plus empreinte de spectacle que de politique. Ses sorties dans les régions sont souvent accompagnées de bourdes médiatiques qui témoignent d’une forme inconsciente de mépris ou au mieux d’incompréhension totale de l’électorat populaire.

De plus, il se garde bien de présenter un projet précis. Malgré ses faiblesses - un positionnement sur le segment le plus assimilable à l’élite et le fait qu’il fut sans doute le ministre le plus emblématique d’un quinquennat politiquement catastrophique - il conserve et renforce une position électorale conséquente. Ceci pour deux raisons.

La première tient à la consolidation paradoxale du socle de ce segment sous le coup des attaques généralisées auxquelles il est confronté. La mondialisation économique et l’ouverture sociétale sont désormais fortement contestées. Cette contestation renforce de ce fait l’identité de leurs défenseurs, jusqu’à présent non réellement revendiquée en tant que telle.

Par ailleurs, il profite pleinement de la mécanique du cycle de ces primaires particulières qui conduit aux choix de candidats aux profils politiques très marqués, ce qui libère l’espace traditionnellement le plus central de l’échiquier.


Le retournement de tendance : Les cas Fillon et Mélenchon, le choix de Hamon

Bien avant le scandale qui le touche, la candidature de François Fillon présentait déjà de graves faiblesses, mises en évidence dans mon article sur sa victoire (Le point de bascule : analyse de l’élection de Fillon). Les partisans de l’ancien premier ministre sous-estiment très largement le refus de plus en plus marqué du libéralisme économique. Ce refus est pourtant profondément inscrit dans les votes en faveur du Brexit ou de Donald Trump. Croire qu’une posture identitaire forte combinée au rejet du Parti Socialiste suffirait à emporter l’élection était une illusion balayée très rapidement.

Bien au-delà du scandale qui affecte Fillon, la victoire de Hamon - s’il l’exploite en se détachant du bilan de François Hollande et des représentants les plus emblématiques de sa politique (notamment Myriam El Khomry) - affaiblirait très fortement un des deux piliers de sa stratégie (celui de la disqualification d’office du candidat de la gauche). La rigidité de son tempérament et la brutalité de son programme ont de plus mis l’accent sur le besoin de protection sociale qui prend ainsi le pas dans l’opinion sur les questions identitaires. Si François Fillon maintient sa candidature, il est très probable qu’il ne soit pas présent au second tour.


Mélenchon avait apparemment tout pour réussir. Héraut depuis longtemps d’un programme de protection sociale fort, en rupture de ban du Parti Socialiste depuis des années, il devrait avoir le vent en poupe, porté par la montée du besoin de sécurité sociale et le rejet des partis de gouvernement.

Toutefois, Mélenchon fait une erreur magistrale de positionnement, liée à son caractère, qui l’enferme complètement dans une impasse.Le succès de Benoit Hamon rend caduque sa position d’opposant à la ligne majoritaire du PS et son refus de discussions entre les partis ou les candidats. De plus, son slogan le dégagisme, qui n’est qu’une variante de Sortons les sortants de Pierre Poujade, qu’il répète à l’envie dans ses discours, est dangereux pour lui. Il lui sera quand même très difficile, après toute une carrière politique dans le parti socialiste, d’apparaître très différent de ces hommes politiques traditionnels qu’il appelle à dégager. Maintenant qu’une alternative sérieuse en la personne de Benoît Hamon émerge, il n’est pas impossible que les électeurs le prennent au mot. Sa chute dans les sondages suite à la victoire de Benoit Hamon est pour moi une tendance lourde, sauf si le candidat socialiste change de positionnement politique.


C’est en effet pour Hamon, la question et le choix fort qu’il doit réaliser. Il doit prouver qu’il est capable de résister à la pression du Parti Socialiste qui cherchera à l’avaler selon l’art et le vieux principe de la « synthèse » hollandaise. Le choix de Hamon sera pour partie liée aux décisions individuelles des élus socialistes qui peuvent décider de partir rejoindre Macron ou de rester au PS en constituant un front d’opposition, de fait majoritaire en nombre. Pour exister politiquement, il n’a pas d’autres solutions que d’imposer au parti le positionnement de protection sociale qu’il a défendu pendant la primaire. C’est seulement à cette condition, du fait de son âge, de la force de ses propositions très médiatisées et de sa position de frondeur très critique du gouvernement, qu’il sera en bien meilleure position que Mélenchon pour incarner le segment 1 sur lequel ils sont tous les deux positionnés.



Sous cette hypothèse, le deuxième tour de l’élection présidentielle, sauf changement de casting très marquant, se jouera entre Le Pen, Macron et Hamon.


La victoire des trois candidats est possible, y compris celle de Marine Le Pen. Tout dépendra de la puissance relative des besoins de protection sociale ou culturelle que l’opinion exprimera en mai 2017. Tout dépendra de l'intensité de la volonté de changement et de son objet : la politique mise en œuvre depuis 40 ans ou uniquement les hommes qui l'incarnent depuis une décennie.


Si Hamon se « hollandise » et que Fillon est remplacé ou qu'il réussi à retourner l'opinion contre les médias, alors à nouveau les cartes seraient rebattues et un candidat de droite aurait alors de fortes chance de l’emporter.


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