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Vie et mort de l'Humanisme Libertaire

En Europe ou aux Etats-Unis, les élections sont désormais des révélateurs d’une inquiétude latente qui s'enracine profondément.

Il ne manque pas d’analystes pour en décoder les origines, à mille lieux des solutions apportées par les politiques qui poursuivent, vaille que vaille, les mêmes politiques entraînant les mêmes résultats.


Cette inquiétude est la résultante de tendances lourdes, c’est-à-dire, d’un faisceau d’éléments ou de caractéristiques robustes - indifférents à l’aléa - ne pouvant être rapidement remis en cause. Une tendance lourde détermine fortement la réalisation d’événements prévisibles sur le court voir le moyen terme.


Partager la liste de ces grandes tendances lourdes est indispensable. C’est à partir d’elles qu’une analyse de leur trame sous-jacente et de l’évolution de rupture qu’elles annoncent sera possible.



Les tendances lourdes

Les élections auront révélé une société française en voie de fracturation. Les citoyens sont de plus en plus absents des rendez-vous électoraux cruciaux et ceux qui se sont déplacés ont exprimé des votes fortement différenciés par les dotations patrimoniales et culturelles. C’est une première tendance lourde commune à toutes les sociétés occidentales.


La seconde tient dans la contestation de plus en plus forte du modèle libéral (en économie) – libertaire (dans la société). Après la chute de l’Union soviétique, ce modèle semblait ne plus avoir de concurrence et constituer l’aboutissement logique de la civilisation humaine dont l’épanouissement total n’était retardé ici ou là que par l’absence de réformes courageuses, ou le rattachement névrotique à des nostalgies surannées.

Le retour en puissance des modèles concurrents voire alternatifs russes et chinois (entre autres) est une facette de cette contestation. Il se traduit par des perturbations géopolitiques majeures dont les crises syrienne et ukrainienne ne sont qu’une manifestation. Le plus fondamental est ailleurs. Il réside dans le combat conduit par ces deux puissances contre la mainmise du Dollar sur toutes les transactions. Le Dollar est l’« objet symbole » par excellence du modèle libéral.

Cette contestation prend également d’autres formes, plus réactionnaires et moins stratégiques, comme la poussée de fièvre fondamentaliste.

La troisième tendance tient dans le succès de plus en plus souligné de la combinaison des algorithmes intelligents du Deep Learning (et plus généralement des méthodes de l’IA) et du Big Data qui en permet l’explosion. Nous assistons à l’émergence de cette association dont les conséquences seront immenses.

Bien évidemment, le chaos climatique et les altérations de plus en plus profondes des milieux naturels constituent une quatrième tendance aux effets perturbateurs très importants dans les sociétés, bien au-delà de la somme des coûts des désordres qu’elle entraîne.

Le différentiel démographique très conséquent entre les parties du monde est un autre facteur important de perturbation. Pour mémoire, en 1950 la population Européenne représentait plus d’1/5ème de la population mondiale contre moins de 10% actuellement et très certainement 5% ou moins dans 40 ans.

La sixième tendance importante, moins relevée médiatiquement, est le ralentissement voir le déclin d’indicateurs qui mesurent la qualité de vie. Après avoir connu une progression continue, l’espérance de vie (et celle en bonne santé) progresse plus lentement[i], voire régresse pour les catégories de populations les plus fragiles (plus ou moins selon les politiques économiques mises en œuvre). C’est un changement en rupture complète avec la tendance précédente. La chute du QI[ii] constatée dans l’ensemble des pays développés est également un symptôme marquant des effets de la dégradation de notre environnement et plus largement de nos modes de vie.

Les conséquences de ces tendances lourdes vont transformer très profondément non seulement nos sociétés mais également l’être humain lui-même et les relations qu’il tisse avec ses semblables et le reste de l’univers.

Pour en comprendre la dynamique, les interactions et les conséquences, nous allons utiliser le puissant outil d’analyse des ordres imaginaires.

Les ordres imaginaires[iii]

L’Homme est un animal social très particulier. Comme tous les animaux sociaux, sa survie dépend de la communauté dans lequel il vit. Mais c’est un animal cognitif, c’est-à-dire capable de définir et de partager des représentations collectives imaginaires très complexes qui permettent de créer des communautés très importantes et d’en assurer la stabilité.

Une représentation collective est un ensemble d’éléments référentiels immatériels (lois et règlements, croyances, traditions, us et coutumes, etc.), relativement stables dans le temps, qui influence voire détermine la perception et l’interprétation individuelles des faits.

Un ensemble particulier de ces éléments référentiels, propre à une communauté vivant dans un lieu et un temps donnés, forme un ordre imaginaire.


Un ordre imaginaire, quel qu’il soit, est dominé par une ou deux de ses représentations collectives qui donnent alors le ton à toutes les autres. Ainsi, après l’émergence du monothéisme, les représentations religieuses ont longtemps dominé les ordres imaginaires qui les contenaient.

Aucune communauté humaine ne peut exister sans le partage d’un ordre imaginaire. Je renvoie à mon article « Le conflit des ordres imaginaires[iv] » pour une analyse plus approfondie de leurs contenus et évolutions dans le temps.


Nous allons ici nous intéresser plus particulièrement aux ordres imaginaires successivement créés par l’Homme depuis la révolution scientifique qui constitue une rupture majeure dans l’histoire de l’Humanité.

Il est essentiel de comprendre cette succession d’ordres imaginaires car elle permet de commencer à comprendre les tendances lourdes identifiées précédemment et d’en percevoir les conséquences.

La révolution scientifique

Avant que la révolution scientifique du XVIème siècle ne produise ses effets, la vie humaine avait été profondément marquée par la frugalité des ressources, la morbidité élevée et les très lentes évolutions de contexte.

Ces trois caractéristiques avaient permis de conforter des ordres imaginaires dominés par des représentations collectives d’essence religieuse, confiant le sens de la vie et des destinées individuelles à des codes moraux inspirés d’êtres surhumains (les Dieux), promettant la félicité dans un au-delà imaginaire.

Dans l’antiquité ou au moyen âge, pour la très grande majorité des êtres humains, il n’y avait pas de libre arbitre ou de calcul de rationalité. Les décisions individuelles ne provenaient pas de l’écoute attentive des émotions ou des envies et encore moins de la projection de l’intérêt personnel dans un futur espéré différent du présent. Elles prenaient leur source dans les contraintes morales (issues de l’exégèse de textes sacrés) et physiques très fortes qui pesaient sur tous sur un horizon de temps perçu comme immuable ou presque.


La révolution scientifique a permis d’abattre les trois caractéristiques majeures (frugalité, morbidité et immobilité) des temps précédents. Désormais l’Humanité vit dans le temps de l’abondance (très mal répartie), des médicaments et de l’hygiène de vie (plus largement répandus) et des changements accélérés (dont le rythme s’accroit désormais au point de devenir permanent).

De ce fait, La révolution scientifique a engendré un ensemble de représentations collectives basées sur le couple de famille de représentations collectives que sont le Matérialisme et l’Humanisme.

Il en existe en effet pour chacune d’entre-elles une grande variété de type.


L’Humanisme est une philosophie qui définit la source du sens de la vie et des destinées dans les décisions humaines. Nous utiliserons ici uniquement dans ce sens, indépendamment de son interprétation usuelle très positive.

Pour l’Humanisme, la supériorité intrinsèque des humains sur toutes les autres composantes de l’univers est un principe. Bien évidemment, en se couplant à d’autres représentations collectives, l’Humanisme va restreindre parfois fortement la portée universelle et potentiellement égalitariste de ses principes qui n’en demeurent pas moins en filigrane.


Le Matérialisme (capitalisme et socialisme) est la traduction de la révolution scientifique en économie. C’est un mode d’utilisation des ressources et d’allocation des richesses.

Dans le reste de l’article, nous allons nous intéresser uniquement au capitalisme, le socialisme n’étant plus qu’une curiosité historique.

Il est essentiel de noter que le capitalisme n’est pas d’essence humaniste.

En effet, ses mécanismes d’actions relèvent de l’optimisation du libre choix d’acteurs économiques, acteurs qui ne sont pas nécessairement humains. Les « personnes » morales sont de nos jours les principaux agents économiques et leur « logique » ou leur « rationalité » peut être très éloignée de celles des humains.

La main du marché n’est pas seulement invisible, elle est également aveugle et ahumaine.

De fait, ce n’est qu’un algorithme complexe de calcul pour qui l’identité réelle des acteurs économiques importe peu pourvu qu’ils jouent leurs rôles. Si demain d’autres algorithmes sophistiqués acquièrent la personnalité morale, ils postuleraient sans problème au rôle d’agents économiques. Il est tout à fait même possible d’imaginer un monde où un très grand nombre d’êtres humains ne soient plus que des acteurs très secondaires du jeu capitaliste.

Le capitalisme est de plus tendanciellement inégalitaire. Non seulement il valorise l’accumulation du capital mais il favorise sa reproduction dans le temps, conduisant ainsi à renforcer des différentiations de représentations, de pensées et donc d’actions, générées par la différence des expériences et des revenus. Et ce sont les expériences les plus profitables qui sont systématiquement favorisées.


La révolution scientifique est une rupture car elle introduit un changement de paradigme essentiel : les ordres imaginaires jusqu’alors « Deus » centrés deviennent « Homo » centrés.


Ce changement essentiel se retrouve même dans les sociétés les plus marquées par la religion.

La réaction des islamo-conservateurs algériens suite à la décision du ministère de l’éducation d’interdire le port du voile et du Niqab dans les écoles est très significative. Ceux-ci dénoncent une "atteinte à la liberté des filles voilées" et non une transgression de la volonté ou de la parole Divine (v).


Au fil du temps, l’Humanisme et le capitalisme se sont adossés aux représentations collectives préexistantes pour définir des ordres imaginaires assurant la cohérence des communautés.

Le nationalisme a été la première représentation collective associée à l’humanisme/capitalisme.

La nation était déjà présente dans les ordres précédents, mais l’Humanisme va en changer le sens. Ce n’était plus la grâce de Dieu qui octroyait la gouvernance du pays au Roi ou à l’Empereur, mais l’expression du génie national, catalyseur des volontés et aspirations du peuple.

Le nationalisme a embrassé de nombreuses variantes, depuis la nation citoyenne de la révolution française jusqu’à la racialisation eugéniste nazi. Quel qu’il soit, le nationalisme reposait sur l’exaltation de la volonté supposée du peuple, elle-même synthèse des aspirations individuelles. S’il peut être surprenant de qualifier d’Humanisme l’eugénisme nazi, cette contradiction n’est qu’apparente. Les nationaux socialistes ne faisaient que restreindre les privilèges que l’Humanisme accorde à l’humanité à un sous-ensemble racialement défini, et leur exercice à des conditions très strictes.

La démocratie n’est pas une condition sine qua none de l’Humanisme.

Ces représentations nationalistes ont connu leur acmé au XXème Siècle. En Occident, l’effroi issu des horreurs des deux guerres a mis à mort ces représentations collectives.


Une nouvelle représentation collective a germé en Occident des décombres de la seconde guerre mondiale, celle de l’humanisme social. Il avait pour vertu, en plus de s’opposer aux horreurs du fascisme, de contrer la fascination du modèle humaniste-socialiste qui s’était fortement développé et teinté de nationalisme suite à la victoire contre les Nazis et les japonais.

Cet humanisme particulier reposait sur un contrat social assurant à chaque membre de la communauté une part et une place équitable par la mise en œuvre de mécanismes de solidarité collective, indépendants de l’appartenance clanique ou partisane.

Cette représentation collective s’appuyait bien évidemment encore sur les principes et acquis précédents. La nation perdurait (sauf en Allemagne), mais elle n’était plus l’essence primordiale, le catalyseur de la volonté populaire, juste le cadre pratique de mise en œuvre de la solidarité nationale. Pour être complément exhaustif, il faudrait traiter le cas de tous les pays, ce qui est impossible dans les limites d’un article. Je ne retiens ici que des traits généraux qui s’appliquent de façon différenciée selon les contextes propres à chaque communauté.

L’extraordinaire réussite de l’humanisme social (les trente glorieuses en France) a tenu à des circonstances historiques très particulières et non pas à des qualités intrinsèques indépassables. Son empreinte dans la société française a été très grande et demeure encore pour beaucoup une référence.

Le progrès individuel et l’assurance collective étaient au cœur des préoccupations de la société. L’ascension sociale, la sécurité sociale, la diversité des statuts ou règlements qui organisaient le monde du travail, mais également l’urbanisation des villes nouvelles, sont quelques-uns des legs de cet ordre imaginaire.


La révolution libertaire post 68 puis libérale (en économie) de la fin des années 70 a marqué la fin de cette période et sapé peu à peu tous les repères et constituants de l’humanisme social.

Les acteurs de cette transformation n’avaient, pour la plupart, pas conscience de mettre fin à cette représentation collective. Ils voulaient seulement optimiser le système, lui donner un peu d’air, de même que Mikhaïl Gorbatchev avec la Glasnost et la Perestroïka souhaitait doper un régime auquel il était attaché.

Mais une représentation collective ne repose que sur la confiance et la croyance qu’on lui accorde ou sur les moyens que l’on met à sa disposition pour l’imposer quand celle-ci n’est pas naturellement acceptée par la majorité. Une fois ses fondations systématiquement critiquées puis délitées, il était inévitable qu’elle s’affaiblisse pour laisser place à une nouvelle représentation collective : l’Humanisme Libertaire.



L’humanisme libertaire

J’ai exposé dans l’Etat d’impuissance[vi], les raisons du changement de paradigme et ses conséquences pour la société française.

La somme des décisions qui furent prises dès le début des années 80 jusqu’à nos jours à irréversiblement sapé les bases de l’humanisme social. On peut être nostalgique de cette époque ou regretter le temps du patriotisme national, cela ne change pas le fait qu’ils ne sont désormais plus la référence implicite de la majorité ou du moins de la minorité importante qui détient concrètement les pouvoirs d’influence et de décision.


L’Humanisme libertaire met la liberté individuelle d’actions et de décisions au-dessus de tout et notamment des impératifs de solidarité collective qui animait la précédente représentation. De plus, il positionne l’économie – le capitalisme néo libéral – au centre de la société.

Laisser une place sans précédente à une forme peu contrôlée du capitalisme dans la société ne pouvait conduire qu’à des difficultés importantes, le capitalisme n’étant pas du tout un Humanisme.

Ainsi s’explique par exemple la schizophrénie apparente des gouvernements qui à la fois ratifient les principes des accords de Paris sur l’environnement (qui répondent bien du principe Humaniste, notamment social) et votent en même temps les règles très contraignantes des traités de libres échanges qui non seulement rendent caduques ces mêmes accords mais aggravent la situation existante. Le drame de notre temps est d’être gouverné par un des ordres imaginaires Humanistes les plus faibles que l’on ait connu au moment où les conséquences du chaos climatique se font de plus en plus sentir.


Sous l’influence de ce nouveau paradigme, en quelques décennies, le visage de la France s’est transformé comme jamais auparavant en temps de paix.

  • Dans sa population même avec un afflux très important de populations émigrants de contrées aux représentations collectives très différentes des nôtres. Dans les ordres imaginaires précédents, l’émigration était conçue au service de la société accueillante. Désormais l’intérêt individuel des migrants est intégré comme une exigence opposée aux sociétés d’accueil. L’arrivée massive de migrants depuis 2016 est la dernière illustration de ce phénomène. L’un des points de vue qu’elle a engendré est particulièrement significatif : celui de l’impératif pour l’Europe de gérer l’arrivée des migrants là ou ceux-ci souhaitent aller et non là où les Etats auraient décidé qu’ils doivent être. Ce point de vue n’aurait eu aucun sens quelques décennies plus tôt. Celui-ci ne fait bien évidemment pas l’unanimité, les pays d’Europe centrale et de l’Est par exemple étant très loin de l’accepter.


  • Dans ses règles économiques qui privilégient désormais la liberté du capital à la solidarité sociale en éliminant peu à peu les statuts et les gardes fous qu’avait érigé le système précédent. Nous l’avons dit, le capitalisme est par essence inégalitaire. Sans entraves, les inégalités ne peuvent que s’accroître et avec elles les tensions qu’elles génèrent. Le précédent ordre imaginaire reposait sur un compromis passé entre les classes sociales pour limiter les gains du capital. La compromission d’une partie des élites avec le régime nazi et la nécessité de contrer la séduction menaçante exercée par l’humaniste socialiste étaient à la source de ce compromis. Cela parait invraisemblable aujourd’hui mais au début des années soixante-dix, entre une Amérique traumatisée par sa défaite du Vietnam et une Union Soviétique qui engrangeait les soutiens de dirigeants du Tiers monde, le système qui semblait avoir le vent en poupe n’était pas le nôtre.


  • Dans sa répartition spatiale, entre une France des métropoles encore dynamique, ouverte à la concurrence mondiale et des zones de plus en plus délaissées des banlieues ou des petites villes et villages loin des grands centres économiques. Maintenir des systèmes collectifs structurellement déficitaires dans des zones peu peuplées ou économiquement faibles est un choix de société. Le remplacement de l’impératif de solidarité collective par celui de la performance des marchés et du prima des décisions individuelles ne pouvait avoir pour effet que de renforcer les inégalités territoriales. Très curieusement, il n’y a jamais eu autant de comités ou de rapports sur l’égalité des chances depuis que les conditions même de son absence ont été largement établies.


  • Dans ses relations sociales, désormais très marquées par une endogamie renforcée des classes sociales et culturelles. Quand les expériences personnelles ne se rencontrent plus, il est bien difficile de former un réel corps social unifié. Les risques d’éclatement ou de fragmentation s’accroissent alors fortement.



La contestation de l’Humanisme libertaire

Une représentation collective ne tient que par la confiance qu’on lui accorde ou par les moyens qu’on lui donne pour s’imposer.

L’Humanisme libertaire n’est pas majoritaire en France et dans la plupart des pays occidentaux. Il est toutefois portée par une minorité nombreuse, très bien dotée et dont la partie la plus fortunée et la plus impliquée dans sa philosophie détient des moyens de diffusion d’informations sans précédent.

Le positionnement des quatre premiers candidats de l’élection présidentielle est en cela très révélateur.

Emmanuel Macron incarne parfaitement les principes de l’Humanisme libertaire. Son électorat est constitué de ceux qui bénéficient de ses effets : les personnes les plus dotées culturellement mais surtout patrimonialement.

Malgré son positionnement très Thatchérien en économie, François Fillon s’inscrivait dans la foulée de l’Humanisme nationaliste. Son discours sur les valeurs françaises issues du génie national et de sa culture est très emblématique de cette représentation collective. Son électorat était très massivement constitué de personnes âgées et aisées, inquiètes de l’évolution d’un monde qu’elles perçoivent trop instable et menaçant.

Jean-Luc Mélenchon s’est posé en héraut et héritier de l’Humanisme social, défendant les gens et la solidarité collective face à l’oligarchie libérale. Il a attiré à lui les classes sociales les plus jeunes et les catégories sociales qui avaient autrefois pleinement bénéficié des effets de l’humanisme social.

Le FN quant à lui s’est retrouvé déchiré entre les deux visions, une plus nationalo-identitaire, incarnée par le FN du Sud et l’autre plus nationalo-sociale portée par le FN du Nord.

Les contradictions de cette double référence n’ont pas tardées à se faire sentir et se sont concrétisées par la démission plus que symbolique de Florian Philippot.


Les trois grands ordres imaginaires Humanistes historiques sont donc aujourd’hui représentés sur l’échiquier politique français.

Les deux lignes concurrentes espèrent bien amender ou abattre l’Humanisme libertaire. Il est probable qu’il n’en sera rien.

Par contre, au niveau international, la formidable stratégie construite par les chinois et les russes pour dédolariser le monde, c’est-à-dire pour resoumettre l’économie à l’intérêt bien compris de ces puissances pilotées par un Humanisme nationaliste, pourrait bien ébranler l’hégémonie de l’humanisme libertaire et de la version néo libérale du capitalisme



L’ère des Data

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Une autre évolution majeure est en marche, sans doute irréversible. Elle a les moyens de mettre fin à l’ère de l’Humanisme libertaire et peut être même à l’Humanisme tout court.

Notre époque est marquée par une combinaison d’avancées scientifiques qui touchent à l’identité et à la spécificité de l’être humain. La médecine de pointe se préoccupe désormais plus de combler d’éventuels handicaps personnels (physiques ou génétiques) que de soigner les personnes (techniques devenues routinières). Avec, en cible non explicitement révélée, l’ambition d’accroître les capacités humaines et de repousser les limites que la nature nous avait fixées.

L’intelligence artificielle permet de son côté de simuler des aptitudes cognitives qui donnent à chaque « programme », sur un spectre restreint, une capacité d’analyse et de création égale ou supérieure à l’esprit humain.

Aucun de ces programmes n’est doté de conscience et la nature même des techniques du Deep Learning n’a que peu de chance d’en générer une, même par hasard. La singularité tant crainte dans les films de science-fiction n’est qu’une chimère.


Elle n’est absolument pas nécessaire pour mettre fin à notre modèle actuel.

Le développement du numérique et de l’IA ne peut que renforcer les inégalités économiques et le sous-emploi. J’ai déjà montré dans d’autres textes que les deux conditions qui permettaient à l’effet de destruction créatrice de Schumpeter de se réaliser (le temps et le coût de transformation nécessaire à la généralisation de l’innovation) ne sont pas réunies. De plus, la révolution numérique s’attaque au cœur même des capacités de l’homme : ses compétences cognitives. L’être humain ne dispose que de qualités physiques ou psychiques. L’effet schumpétérien décrivait seulement comment de nouveaux marchés pouvaient se développer en faisant appel à des compétences humaines non remplacées par l’innovation. Des capacités physiques à la place d’autres capacités physiques puis des cognitives à la place des physiques. Quand tout le spectre des capacités sera couvert par l’innovation, l’effet schumpétérien n’aura plus de champ pour se déployer.


D’aucun pense que ces programmes sont au fond idiots, sans conscience et très loin de la richesse de pensée d’un être humain ordinaire.

Ils ont raison. Mais il faut être réaliste, la grande majorité des emplois n’a que faire de notre richesse de pensée. Elle demande seulement l’exécution la plus précise de protocoles professionnels bien définis et délimités.

Il est facile d’imaginer les conséquences sur la société d’un million de petits programmes IA très puissants, très spécialisés mais travaillant en réseau, connectés à l’ensemble des informations du WEB et couvrant un vaste champ de compétences cognitives.

Le capitalisme se passera très bien de millions de personnes, dès lors que les algorithmes intelligents feront mieux qu’eux pour un coût bien inférieur.

L’Humanisme par contre aura beaucoup plus de mal à se maintenir comme philosophie de référence.


L’humain ordinaire peut non seulement perdre sa place dominante dans le système économique mais également son autonomie de décision. Sans même s’en rendre compte, il est déjà des domaines ou de micros décisions sont déléguées aux algorithmes. Nous sommes très nombreux à suivre complètement les indications d’un GPS, le laissant in fine choisir des itinéraires que nous aurions autrefois décidés de nous-mêmes.

Cela peut paraître dérisoire, mais dans le monde qui vient ou tout, y compris soi-même, sera connecté au réseau et où des supers algorithmes spécialisés seront déployés partout, offrant à chacun des suggestions de plus en plus précises et appropriées à chaque situation, il sera très difficile de conserver une réelle autonomie de décision.

Cela se fera peu à peu et la plupart n’auront même pas conscience de ne plus réellement décider du sens de leur vie.


Les premiers temps de l’Humanisme ont été ceux des journaux intimes et des romans d’introspection. Cela été également celui du développement des psychanalystes et autres explorateurs de l’âme qui remplaçaient les oracles et les exorcistes.

Il y a vingt ans, on se moquait des hordes de touristes japonais qui passaient leur temps l’œil vissé à l’appareil photographique. Aujourd’hui, chacun s’empresse de mettre l’instant le plus banal de sa vie sur Facebook en espérant faire exploser son compteur de like.

Etre dans le flux de la donnée est déjà devenu bien plus important que de ressentir les émotions profondes de son moi intérieur.


Certains, pour espérer rester dans le course de cette compétition qui vient entre l’humanité et les algorithmes connectées au Big Data, préconisent d’augmenter l’homme, de le fusionner avec les machines. C’est ce que propose Elon Musk notamment qui, comme tant d’autres grandes fortunes, investissent désormais des sommes considérables dans les techniques de réingénierie humaine. C’est encore balbutiant, mais d’ici des décennies, moins peut-être, des hommes augmentés seront parmi nous[vii].


Une fois la compétition entre l’homme et l’algorithme installée, une fois l’égalité du hasard génétique rompue, l’Humanisme aura été profondément altéré. Le capitalisme, lui, de par son caractère ahumain et sa nature algorithmique de prise de décision en ressortira encore plus puissant.


Nous basculerons alors dans des ordres imaginaires Algorithmo-centrés.

Le monde sera alors très différent de celui-ci. Il est probable qu’un gouffre encore plus important séparera ce qu’il restera de la France de 2050 de celui qui nous a éloigné des trente glorieuses.

 

[ii] https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/0211738901390-linquietant-recul-du-quotient-intellectuel-2060740.php

[iii] Je reprends cette appellation des excellents livres de Yuval Noah Harari : Sapiens une brève histoire de l’humanité et Homo Deus, une brève histoire de l’avenir.

[iv] http://philippeleroymondr.wixsite.com/letempsdelanalyse/single-post/2016/08/19/Le-conflit-des-ordres-imaginaires

[v] https://www.marianne.net/monde/algerie-le-gouvernement-interdit-le-voile-integral-l-ecole-malgre-la-pression-des-islamo

[vi] http://philippeleroymondr.wixsite.com/letempsdelanalyse/single-post/2016/09/23/L%C3%A9tat-dimpuissance

[vii] https://theconversation.com/crispr-cas9-comment-modifier-les-genomes-va-changer-la-societe-66320

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