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L'élection 2017 : un vote de classes

Le premier tout de l’élection présidentielle de 2017 n’aura en apparence pas réservé de surprise. Les deux finalistes attendus depuis le ralliement de François Bayrou à Emmanuel Macron sont bien au rendez-vous dans l’ordre et au niveau appréciés par les derniers sondages.

Tout a été dit sur l’émergence d’En Marche, la déconfiture du PS ou le suicide des Républicains, contraints par l’obstination de leur candidat, la logique implacable de la primaire, l’organisation du parti et de la campagne.

Il n’en reste pas moins que ce premier tour est très révélateur de l’évolution d’un vote de plus en plus marqué par l’appartenance à une classe sociale et à un niveau de revenus.


Nous avons déjà exposé dans des articles précédents combien la politique conduite depuis 40 ans a favorisé la montée des inégalités, réduit l’ascension sociale et accru l’intensité des questions relatives à l’identité collective.

La France est désormais socialement complétement coupée en deux ensembles comprenant chacun des sous éléments parfois difficilement conciliables. Ce découplage entre gagnants et perdant de la mondialisation se retrouve également géographiquement dans l’opposition entre les grandes métropoles et les zones périphériques ou les banlieues des métropoles.

Cette différentiation de plus en plus nette des votes, ce rejet d’un « système » parfois mal défini ou aux contours variables selon celui qui l’analyse ou le critique, est un élément majeur de la politique française contemporaine. Cette caractéristique n’est évidemment pas propre à la France, elle traverse peu ou prou tous les pays européens ainsi que les Etats-Unis.


Le vrai bilan de Nicolas Sarkozy et de François Hollande

Quel que soit l’angle sous lequel on analyse le bilan des deux derniers quinquennats, il est indéniable que ceux-ci furent des échecs patents.

Au-delà de l’absence de retournement de la courbe du chômage ou des dramatiques évènements qui ont ensanglantés la France depuis deux ans, un des éléments les plus frappants de ces deux bilans, et peut-être le moins mis en avant, est l’incroyablement affaiblissement de l’adhésion au « Système » politique mis en place depuis 35 ans.

Pour s’imposer face à leurs adversaires, Nicolas Sarkozy puis François Hollande abusèrent de la posture de la rupture, contre la « bien pensance » ou le monde financier.

Dans les faits, les politiques conduites en France par les équipes gouvernementales des deux derniers présidents ne furent que des variantes des principes économiques et sociaux mis en œuvre depuis le début des années 80. Ces principes sont ceux du libéralisme actionnarial dont j’ai exposé les impacts politiques, sociaux ou stratégiques dans l’article « l’état d’impuissance ».

Il est aujourd’hui possible de mesurer l’adhésion à ces principes que je regroupe pour des facilités de langage sous le terme général de « Système ».

Toutes les données utilisées ci-dessous proviennent des enquêtes d’analyse de la sociologie des votants conduites par Ipsos à l’issue du premier tour des présidentielles et des sources officielles pour les résultats plus globaux.

Les résultats des premiers tours des élections présidentielles depuis 1981 nous permettent de mesurer le taux d’adhésion au « Système » en sommant les pourcentages obtenus par les partis ou mouvements politiques ayant participé ou soutenu activement les politiques conduites.

Je pondère ces votes par l’abstention.

Je fais ici effectivement l’hypothèse, partiellement fausse, que l’abstention, à l’image des votes blancs et nuls, est un mode d’expression si ce n’est du rejet, du moins de la non adhésion aux principes du « Système ».

Lors des élections de 2012 et 2017, la corrélation entre votes critiques du système et absentions par niveau de revenu des ménages est particulièrement visible :

J’ai regroupé dans les votes critiques du système, les voix obtenues par l’extrême gauche, François Asselineau, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont Aignan, Jean-Luc Mélenchon et Marine le Pen. Pour les élections plus anciennes, les représentants des partis de gouvernements sont classés dans le « Système », contrairement à l’extrême gauche, au Front National, et le cas échéant, le vote pour Philippe De Villiers.

Le taux d’adhésion au « Système » est donc le produit du taux de participation et des pourcentages de votes exprimés pour les représentants du « Système ».

Calculé sur cette base, ce taux est resté relativement élevé pendant les années 80, supérieur à 65 % des inscrits, le taux de participation demeurant lui-même important (81 % en 1981 et 1988).

Ce taux décline ensuite très fortement pour s’effondrer à moins de 40 % en 2017, avec un taux de participation globalement en baisse (78 % en 1995 ; 72 % en 2002 ; 84 % en 2007 ; 80 % en 2012 ; 78 % en 2017).

L’élection de 2007 est très atypique, contre coup sans doute du traumatisme du 21 avril 2002 et de la campagne offensive et à tonalité très critique conduite par Nicolas Sarkozy.






Ce graphique permet de mesurer les effets relatifs des présidences Sarkozy et Hollande. Chacune d’entre-elles conduit à une diminution drastique de l’adhésion au « Système ».


Evidemment, deux observations ne permettent pas d'être robustement assuré de la véracité d'une tendance. Néanmoins, si nous considérions l'intégralité des sondages réalisés depuis dix ans (sans doute plusieurs centaines), cette tendance serait largement confirmée.







L ’élection de 2017 : une élection marquée par le sceau des classes sociales


Jusqu’en 2002, le Front national incarnait très majoritairement l’opposition au « Système ». Toutefois le sens de cette incarnation a profondément changé entre le début des années 80 et les années postérieures à 1995C’est en effet à cette élection présidentielle que la sociologie du vote Front National évolue en profondeur, passant des catégories sociales plutôt aisées, exaspérées par l'arrivée au pouvoir des « socialo-communistes », à la prédominance des milieux sociaux victimes de la politique mise en œuvre au fur et à mesure que ses effets se déploient. Les ouvriers et les employés sont les premiers à rejoindre le vote FN en 1995, les paysans les accompagnent en 2002, puis enfin les jeunes générations précarisées, jusqu’alors profondément rétives au vote d’extrême droite, glissent en grand nombre un bulletin FN dans l’urne.

La révolution programmatique entreprise par la FN, initiée en son temps par Bruno Mégret et profondément réalisée par Marine le Pen depuis son ascension à la présidence du parti, n’est que la traduction du changement sociologique de l’électorat.

Toutefois l’élargissement de la crise et la déstabilisation en profondeur des couches sociales précaires qu’elle entraîne a conduit à l’émergence possible d’une alternative concurrente portée par la Parti de gauche puis la France Insoumise.


Plus les effets dévastateurs des politiques conduites se font sentir, plus l’abstention gagne les classes qui en sont victimes et plus les discours et actes politiques des partis de gouvernements s’adressent presque exclusivement au sous ensemble de plus en plus restreint des gagnants de la mondialisation. L’élection de 2017 est, à ce titre, très révélatrice.




Ce graphique permet de voir que seul 23 % des électeurs vivant dans un foyer disposant d’un revenu inférieur à 1250 € ont accordé leurs suffrages à un représentant du « Système » (70 % de participation * 33 % de votes).


Ce pourcentage s’élève à 52 % pour les foyers disposant de plus de 3000 €. Ce graphique illustre également la linéarité des comportements électoraux en fonction du revenu.








Transposé au niveau des catégories socio-professionnelles, le constat est accablant : les ouvriers ne sont que 18% à adhérer au système alors que 48% des cadres le font ainsi que 57% des retraités.



A cette fracture sociale s’ajoute désormais une fracture générationnelle. A peine plus d’un quart des jeunes de 18 à 24 ans ont voté pour le « Système », contre 66 % des plus de 70 ans.


Plus frappant encore, le « Système » n’est majoritaire ou presque que chez les inscrits de plus de 60 ans. Il s’agit là d’une crise de représentation majeure qui devrait interroger très largement les partis politiques en place.



Il est nécessaire ici d’analyser plus avant le vote des catégories les plus âgées. Une analyse plus fine montrerait que parmi elles, le critère de richesse est déterminant. Il n'en reste pas moins que les retraités, n'étant plus engagés dans la vie professionnelle, sont moins sensibles aux questions portant sur l’organisation du monde du travail et portent plus d’attention à la protection. C’est pourquoi, la sur représentation des vieux a particulièrement été le fait du vote Fillon, très conservateur à la fois pour la gestion patrimoniale (notamment la transmission entre générations) et culturelle. Il est clair que les politiques antisystème qui visent à une redistribution massive des patrimoines via l’impôt ne peuvent pas être populaires auprès des possédants même moyennement riches.

Le paradoxe, c’est que les vieilles générations actuelles sont les bénéficiaires de l’organisation ancienne de la société (celle de la redistribution sociale et du plein emploi qui leur a beaucoup profité quand elles furent jeunes) et qu’elles s’érigent désormais en défenseur de fait d’un modèle opposé.


Le changement de paradigme politique : la fin du clivage traditionnel Gauche – Droite

Nous avions évoqué dans l’article « A l’épreuve des Cygnes Noirs : l’étrange élection présidentielle 2017 », la recomposition politique autour de 4 segments différenciés par la dichotomie protection / ouverture.

Ces segments recoupent partiellement la différenciation « Système » / antisystème, des partis de gouvernements pouvant se positionner pour des raisons électorales dans un segment qui est fondamentalement antisystème.

Le segment 3 est le plus emblématique des positionnements propres au « Système ». Le segment 4 en fait également partie, le crédo libéral et l’adhésion à l’Europe étant les éléments les plus structurants pour le « Système ». Les Segments 1 et 2 sont clairement antisystèmes.


Hasard de la recomposition politique en cours, chacun de ces segments pèse électoralement un poids presque équivalent entre 20 et 25 % des voix.

Les chiffres mentionnés ci-dessous mesurent l’écart entre les pourcentages constatés par l’enquête Ipsos et ceux attendus si la distribution des votes était uniforme entre les segments et les catégories. J’ai surligné en bleu, les écarts supérieurs à 5 %.


Segment 1 : Protection économique et ouverture sociétale et culturelle

Le programme de Jean Luc Mélenchon est le plus représentatif de ce segment. Il convient d’y ajouter toutefois les votes de l’extrême gauche et partiellement ceux en faveur de Benoit Hamon malgré son positionnement ambigu, à la fois frondeur et représentant d’un parti clé du « Système ».

Ce segment sur représente les votes des classes sociales les plus pauvres et des jeunes.

Segment 2 : Protection économique, sociétale et culturelle

Le Front National occupe majoritairement cet espace politique depuis l’élection de Marine Le Pen à la tête du parti et la montée en puissance de Florian Philippot dans la production de son programme. Les votes pour Nicolas Dupont Aignan sont également positionnés sur ce segment. Son ralliement à Marine Le Pen pour le second tour de la présidentielle est une conséquence logique de la proximité des programmes et des électorats.

On retrouve également ici une sur représentation des classes les moins fortunées, plus importante encore que dans le segment 1. Concernant les classes d’âges, ce vote est en moyenne plus âgé que le précédent, mais concerne essentiellement les personnes en âge d’exercer une activité.


Segment 3 : Ouverture économique, sociétale et culturelle

Ce segment est celui occupé par Emmanuel Macron. Le vote Macron est sur représenté dans les classes possédantes (plus de 3000 € de revenus), chez les jeunes actifs ou les retraités. Ce profil est donc très profondément différent des deux précédents. C’est pourquoi l’appel à voter pour Macron lancé aux électeurs du Segment 1 n’obtiendra qu’un écho limité.


Segment 4 : Ouverture économique, protection sociétale et culturelle

François Fillon a fait de son double positionnement à la fois très libéral économiquement et très marqué culturellement, sa marque de fabrique. Un peu comme Benoît Hamon, son positionnement est ambigu. A la fois représentant emblématique du « Système » et porteur d’une rhétorique de rupture, François Fillon a sans doute capté une partie des votes qui auraient pu rejoindre le segment de Marine le Pen et de Nicolas Dupont Aignan mais en contrepartie a perdu des voix historiques des partis de droite au profit d’Emmanuel Macron.

Comme pour le précédent, ce segment est celui des ménages les plus riches. Toutefois, celui-ci concerne massivement les retraités et notamment, les plus âgés d’entre-eux.



L’ensemble de ces éléments montrent à quel point la représentation politique est désormais profondément bouleversée par de nouveaux axes de partage qui ne correspondent plus à la répartition historique Gauche / Droite. L’implosion en cours du Parti socialiste et peut-être celle à venir des Républicains est une suite logique de cette évolution.


Le duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen est très représentatif de cette opposition « Système » / antisystème.

La victoire d’Emmanuel Macron ne fait aucun doute. Il dispose d’une réserve considérable de voix pour cela.

Jacques Chirac avait rassemblé plus de 65 % des votes des inscrits (82 % des exprimés et 20 % d’abstention) dans son duel contre Jean Marie Le Pen, soit une augmentation de presque 20 points par rapport au taux d’adhésion au « Système » mesuré au premier tour de 2002 (47,4 %). Cette brusque remontée tenait évidemment à la nature particulière du Front National et à la personnalité de Jean Marie le Pen. Elle tenait peut-être également au fait que la fixation des votes antisystème n’était pas encore complétement réalisée et qu’un bulletin pour un représentant emblématique du « Système » était donc encore tout à fait envisageable surtout face à l’extrême droite.


Les Républicains et le Parti Socialiste n’ont tenu aucun compte de cet avertissement. Bien au contraire, les quinze dernières années ont été l’occasion d’une accentuation des politiques mises en place avec comme corollaire un accroissement des votes d’identification à l’antisystème au détriment des votes protestataires (encore récupérables par le « Système »).


Il est tout à fait probable qu’Emmanuel Macron soit élu avec moins de la moitié des voix des inscrits. Il sera même sans doute entre 40% et 45 %. Ce pourcentage mesurera bien le taux maximal actuel d’adhésion au « Système ».








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